
Depuis des siècles, l’artisanat ancien du tissage de tapis se transmet de génération en génération dans les régions orientales du Maroc.
Au fil du temps et des migrations extérieures, cette activité traditionnelle ancestrale s’étend à presque tous les coins du Maroc, et des tapis sont tissés dans de nombreuses villes et villages du pays.
Compte tenu de la diversité des paysages, des coutumes et du tissu social qui caractérisent le Maroc, il est possible de distinguer différents modèles propres à une région particulière.
Tel est le cas des tapis de Boulmane et des traditions de fabrication de tapis dans cette région.
La province de Boulemane, située au nord-est du Maroc et frontalière avec l’Algérie, est subdivisée en deux zones : une zone où une chaîne de montagne plissées sert d’appui à la zone médiane du moyen atlas, et une zone formée de plaines et plateaux semi arides.
La population est composée des tribus des Ait Youssi et des Ait seghrouchen. Ces deux tribus se distinguent la première par la culture maraîchère et la deuxième par l’élevage.
L’activité du tissage traditionnel est liée à l’économie pastorale. La commercialisation de la laine résultat des toisons reste marginale, il en est de même pour les tapis car leurs confections est souvent liée à la possession d’un troupeau.
Les tisserands ne permettent pas de troupeau jadis louer leurs services à des familles qui en font la demande. Ainsi ils se déplacent dans les familles et y séjournent durant toute la période nécessaire à la confection de tapis. Leurs rôles étaient la conception et la configuration des motifs secondés par des tisseuses qui sont cantonnées dans un rôle d’exécutantes s’occupant à la fois du lavage et de la teinture de la laine, du cardage, du filage et du tissage.
La région était connue pour la teinture naturelle de la laine avec une plante connue tighisat. L’opération de cardage qui suivait l’opération de séchage de la laine s’effectuait avec une carte manuelle pour obtenir une laine sous forme de ruban filée par la suite à l’aide de fuseaux de dimensions différentes selon le calibre du fil souhaité.
Pour le fil de chaîne, on utilise un fuseau de petite dimension tandis que pour le fil de trame et des nœuds, on utilise un fuseau de dimension relativement plus grande.
Les métiers utilisés dans la région sont en bois et se présentent sous une forme rudimentaire. La productivité n’étant pas le souci majeur des tisseuses car leurs productions servaient à des fins domestiques.
A l’étape des autres régions du Maroc, les tisseuses accompagnent le processus de tissage de croyances mythiques qui se procuraient aux outils de production ainsi qu’au tapis lui-même une âme et une présence métaphysique. Ainsi, la chaîne ne doit en aucun cas être enjambée au cours de l’ourdissage. De même, que la teinture et la laine ne doivent se faire que pendant des jours déterminés de la semaine et ne doivent être effectuées que par une femme propre en dehors de son cycle menstruel. Le Montage de la chaîne se fait également selon un rituel propre à chaque tribu.
Selon des critères de nouage et de tramage nous pouvons classifier deux grandes catégories de produits :
- Les produits à points noué : les tapis
- Les produits à points tissés : les hanbels
Les tapis noués
Pour les tapis à points noués, il est le résultat d’une combinaison de technique de tissage et de nouage. Une rangée de nœuds s’alterne régulièrement avec des rangées de fils de trame plus ou moins nombreux selon la qualité du tissage souhaité.
Pour la texture, il s’agit de faire l’anatomie du tapis, en l’occurrence la description de ses principales composantes à savoir la chaîne, la trame, le nœud, les lisières, les chefs et les franges. Pour la chaîne, le fil rentrant dans la chaîne est exclusivement fait main. Il est monobrin et d’un calibre réduit. Il est à base de fibres longues de laine essentiellement de la partie dorsale de la toison obtenue à l’aide d’un petit fuseau en bois.
Le nombre de fils de chaîne varie d’un tapis à l’autre. En effet, il est de 40 et plus. Ce qui dénote une finesse dans le tissage et une régularité et précision dans les dessins même les plus fins.
Pour la trame le fil est aussi filé main et monobrin d’un calibre relativement plus grand que celui de la chaîne. Le nombre de fils de trame entre deux rangées de nœud est généralement de trois. Certains tapis présentent toutefois une trame plus dense. Un nombre élevé de fil de trame confère au tapis une certaine souplesse et allège en même temps son poids, ce qui se traduit également par l’allégement des dessins.
A l’étape des tisseuses des autres régions, la région de Boulemane utilise aussi bien le nœud berbère que le Ghéordès ou les deux à la fois. Certains tapis présentent la combinaison des deux genres de nœuds et ce en fonction des particuliers des dessins à confectionner. Le nombre de nœuds au décimètre linéaire est généralement constant dans le sens de la longueur, soit 12 points. Il varie par contre dans le sens de la largeur entre 12 et 20 points de décimètre. Ceci est dû au fait que le nœud qu’il soit berbère ou Ghéordès porte sur 2 ou quatre fils de chaîne.
Comme c’est le cas dans la région de Ouarzazate, les fils de nœuds sont découpés au préalable à l’aide d’un moule. Il est enroulé autour d’un bâtonnet entaille puis découpé. Une fois noué la moquette peut présenter certaines irrégularités que les tisseuses rattrapent en égalisant la fourrure à mesure du tissage à l’aide d’une grande paire de ciseaux. Pour les lisières, elles sont généralement formées de deux cordelets. Ces derniers sont le résultat du tressage de 3, 4 et même 6 fils de chaîne pour chaque cordelets selon le calibre de ces fils. La particularité de la région de Boulemane consiste à couvrir toute la surface des lisières par des rangées de nœuds généralement de couleur noire.
Les chefs arrêtent les nœuds des deux bouts du tapis ont environ 5cm de largeur. Ils sont généralement décorés par une ou deux rangées de nœuds dans les mèches présentées à l’envers du tapis, ceci est généralement spécifique à la seule région de Boulemane.
La majorité des tapis ne présente de frange que d’un côté. Les tisseuses entament généralement le tissage à ras de l’ensouple inférieur ce qui leur garantit un alignement régulier du chef inférieur, leur évitant ainsi des irrégularités dans le tissage du tapis. Une fois le chef supérieur achevé, la tisseuse prend soin de couper les fils de chaîne à une vingtaine de centimètres environ de ce dernier. Ils sont ensuite regroupés, sont tressés par vingtaine donnant ainsi des franges d’environ 10 cm arrêtés par un nœud.
Cependant certains tapis rares présentent des franges des deux côtés.
Les Hanbels
A la différence des tapis, les hanbels sont le résultat du seul croisement des fils de chaîne et de trame.
La texture des hanbels de la région de Boulemane s’apparente à celles des régions du Moyen Atlas (Béni m’guild, zayane, béni m’tir, zemmour et zaer).
Comme c’est le cas pour le tapis, le fil de chaîne du hanbel est exclusivement en laine et filé main, cependant, ce fil est d’un calibre relativement plus fin que celui du tapis qui n’atténue pas pour autant la solidité de Celui-ci et permet par contre, une densité de fils plus importante au décimètre linéaire. Cette densité varie le plus souvent entre 50 et 60 fils au décimètre.
Pour la trame, en dehors de bandes unies où intervient un fil en laine et filé main comme c’est le cas pour le fil de chaîne, les dessins n’intègrent quant à eux que des fils synthétiques (fibrane et rayonne) offrant une grande gamme de coloris que les tisseuses ont du mal à obtenir selon les procédés traditionnels de teinture. Ces fils se présentent dans des calibres fins et réguliers.
Deux, trois et exceptionnellement quatre cordelets forment les lisières des hanbels. Ces cordelets résultent du regroupement des fils de chaîne en nombre de trois à six selon le calibre du fil.
Le constat fait pour le tapis est également valable pour le cas du hanbel. Les franges ne sont laissées que d’un seul côté (à la fin) et exceptionnellement des deux côtés. Les tresses sont cependant plus fines et généralement plus courtes que celles des tapis. Leur longueur varie entre 5 et 7 cm.
Pour le côté artistique, l’influence extérieure est restée faible. La région de Boulemane reste connue pour les variantes à base de chevrons, de lignes brisées, de chaînes, de treillis losangiques, et de médaillons conservés pour le tapis. Et de bandes horizontales, croisées, chevrons et damiers ainsi que de chaînes losangiques pour le hanbel.
En général, le tapis de l’oriental est caractérisé par son coloris aux puissantes nuances rouges , bleues, vertes et également discrètement rehaussées de points orangés ou jaunes et blancs, par son grand treillis losangique qui est enfermé dans un cadre, l’ornement linéaire et géométrique, la texture serrée, souple et extrêmement soignée et sa grande taille.